La belle victoire des Cellatex
17 AVRIL 2004
Après quatre ans de lutte, les salariés de cette filature des Ardennes liquidée obtiennent de la justice une indemnisation de 4 millions d’euros, qui sanctionne le non-respect par le patron de l’obligation de reclassement du personnel licencié. "C’est un pas de géant vers la sécurité sociale professionnelle !" Maurad Rahbi ne cache pas sa joie. Cet ancien responsable syndical de l’usine Cellatex, devenu secrétaire de la fédération CGT du textile, en a, il est vrai, un solide motif. Mercredi dernier, la cour d’appel de Reims a rendu un jugement qui représente, sinon la consécration, du moins une belle récompense pour l’ensemble des hommes et des femmes qui, depuis quatre ans, sous les projecteurs des médias d’abord, puis dans un relatif anonymat, ont mené un difficile combat.
Petit retour en arrière. Été 2000. Les quelque 160 salariés de Cellatex, filature de rayonne à Givet (Ardennes), apprennent la liquidation judiciaire de leur entreprise quasi centenaire. Leur dernier patron, un Autrichien nommé Glansdorff, qui avait racheté la boîte, a quitté le navire un an plus tôt. Et il est désormais introuvable. Les Cellatex se jettent alors à corps perdu dans la bagarre pour obtenir un minimum de compensations. Ils sonnent le tocsin, mettent les pouvoirs publics, leurs seuls interlocuteurs désormais, au pied du mur. Pour attirer l’attention, ils n’hésitent pas à menacer d’utiliser le stock de 46 tonnes de sulfure de carbone, hautement détonnant, qui se trouvant dans l’usine. Le conflit Cellatex entre alors dans la chronique de l’actualité, des oreilles se dressent, le désespoir de ces ouvriers ardennais intéresse, des portes s’ouvrent, des pourparlers s’engagent. Le 21 juillet, les salariés arrachent un protocole de sortie de conflit jugé alors exceptionnel : des indemnités de licenciement de près de 12 000 euros par personne, s’ajoutant aux sommes conventionnelles, un congé de conversion d’un an, une formation gratuite payée par le conseil régional…Exceptionnel ? Pourtant, aux yeux des Cellatex, aux yeux de Maurad Rahbi, leur responsable syndical CGT, le compte n’y est pas. Ils n’admettent pas que leur patron voyou - qui, en rachetant l’entreprise, n’avait finalement cherché qu’à " piller les savoir-faire " - se sorte de l’affaire à si bon compte. D’autant que Glansdorff aurait largement les moyens d’assumer ses responsabilités dans ce drame social frappant une région ardennaise particulièrement déshéritée : Glansdorff, comme le découvrira l’avocat des salariés en lutte, n’est pas un quelconque canard boiteux, mais possède trois autres établissements en France et en Europe et est la filiale d’un grand groupe industriel international.
Les Cellatex demandent donc au liquidateur d’entamer une procédure contre lui pour obtenir qu’il respecte l’obligation légale de " plan social ". Ils essuient un refus. Maurad Rahbi se souvient encore de la réponse du liquidateur : " je ne vais pas payer une armada d’avocats pour retrouver l’Autrichien ! " Il n’a pas oublié non plus ce qu’il lui a rétorqué : " Eh bien, c’est nous qui allons prendre un avocat pour vous obliger à faire respecter la loi ! " La loi, c’est-à-dire, très précisément, l’article 321-4 du Code du travail stipulant l’obligation pour un chef d’entreprise de faire des propositions de reclassement aux salariés licenciés. En septembre 2003, premier succès : le conseil des prud’hommes de Charleville-Mézières condamne le liquidateur et ordonne une indemnisation des anciens Cellatex à hauteur de 2,8 millions d’euros. Et mercredi dernier, la victoire, donc : la cour d’appel de Reims confirme le jugement. 2,8 millions d’euros, la somme est rondelette : elle correspond au paiement de 6 à 24 mois de salaire brut, selon leur ancienneté, aux 104 salariés qui avaient porté plainte. Sachant qu’une cinquantaine d’autres anciens salariés ont engagé une seconde procédure dans la même affaire, et qu’ils devraient bénéficier du même verdict, le montant total de l’indemnisation devrait avoisiner les 4 millions d’euros. Un pactole qui répare un préjudice mais a, aussi, une autre signification : comme le souligne l’avocat des salariés, Xavier Medeau, c’est la sanction du non-respect de " l’obligation pour chaque employeur de faire une recherche active et effective de reclassement des salariés victimes de licenciements économiques ". Et le fait que l’entreprise ait été en liquidation ne change rien à l’affaire : même en pareil cas, l’État, s’il peut apporter un secours aux salariés victimes, " n’a pas à suppléer aux manquements de l’employeur, c’est avant tout à ce dernier d’assumer la charge ". Le liquidateur de Cellatex aurait donc dû se donner les moyens de poursuivre Glansdorff.
Satisfaits, les anciens Cellatex ne relâchent pas leur vigilance : ils vont maintenant veiller à ce que l’argent gagné leur soit rapidement versé. Une centaine d’entre eux sont toujours au chômage, la plupart au RMI. Mais sans attendre, le leader de la fédération CGT du Textile souligne la portée du succès : " les salariés licenciés ont bien droit au reclassement et tout chef d’entreprise, ou liquidateur, qui le bafoue peut se faire condamner ". Avis aux amateurs. En ce sens, le jugement de la cour d’appel de Reims constitue, en effet, un sérieux jalon sur le chemin d’une sécurité sociale professionnelle, revendiquée par la CGT et dont le MEDEF ne veut pas entendre parler.
Yves Housson