Plainte pour banqueroute et escroquerie contre le centre d'appels de Douzy
15 JUIN 2016
Liquidé en mars, le centre d’appels n’en a pas fini avec la justice. Dix salariés contestent leur licenciement aux prud’hommes et une autre plainte vient d’être déposée au pénal.
Jamais deux sans trois. Le centre d’appels de Douzy, liquidé à la barre du tribunal de commerce en mars, devrait se retrouver sous les feux de l’actualité judiciaire : devant le conseil de prud’hommes pour commencer, et peut-être, à plus long terme, devant le tribunal correctionnel.
Loin des promesses qui, au cœur de l’été 2013, avaient précédé la création des Ateliers du contact à distance (ACD), la filiale du groupe marocain Euro Maghreb Services (EMS) n’a jamais atteint ses objectifs. Le centre d’appels n’a jamais recruté les 320 collaborateurs annoncés : selon la communauté de communes des Trois cantons qui, à l’époque, avait accompagné le projet, il n’a compté en deux ans que « vingt-huit salariés en moyenne : soixante emplois au départ et dix-huit à la fin ».
Après la cessation de paiement en févier, puis la liquidation en mars, le PDG de l’entreprise, Abdel Fattah Arrom, avait vilipendé son personnel ardennais. À Sedan, il avait taxé ses salariés d’« incompétence », et même dénoncé des « bons à rien ». Dans la foulée, une dizaine de salariés, essentiellement des femmes, avait sollicité l’avocat Xavier Médeau. « Le gérant a été odieux, en qualifiant les salariés d’incapables, et en les accusant d’avoir fait couler la boîte », critique l’avocat spécialisé dans le droit du travail. « Dix anciens salariés, sur les dix-huit que comptait l’entreprise, viennent de me confier la défense de leurs intérêts », annonce l’avocat, qui « conteste totalement la légitimité de leur licenciement ».
L’ex-PDG dit avoir « perdu beaucoup dans cette affaire »
Le 19 mars dernier, le personnel licencié revenait, dans nos colonnes, sur le management au sein du centre. « Nous recevions des blâmes sans vraiment savoir pourquoi, témoignaient plusieurs femmes. Une fois, la raison invoquée était que j’avais cligné des yeux un peu trop souvent dans la journée. Une autre parce qu’elle mangeait un bonbon à la menthe, ou encore pour une pause aux toilettes sans avoir demandé la permission ! »
Xavier Médeau va plus loin. Il vient en effet de porter plainte contre l’entreprise. « Il apparaît, à la lecture de l’historique de cette société et des conditions de cette liquidation, de forts soupçons d’abus de biens sociaux, de banqueroute, d’escroquerie, et à tout le moins de faillite frauduleuse », avance-t-il. Le parquet de Charleville-Mézières indique que la plainte est à l’étude.
Abdel Fattah Arrom, joint hier, cache mal son dépit. « Je ne suis pas au courant et je n’ai plus rien à voir avec ça. Je n’ai rien à dire. J’ai perdu beaucoup d’argent dans cette affaire ! »
Aux yeux de Me Médeau, des questions doivent trouver réponse. « Cette entreprise avait, lors de son installation, promis la création d’un grand nombre d’emplois, ceci afin de capter un maximum de subventions. Les salariés concernés ont également évoqué les manœuvres frauduleuses de la direction tendant à obtenir le financement de fausses formations. Ils ont également évoqué des conditions de travail en «sous-traitance» extrêmement nébuleuses, notamment pour le compte d’entreprises marocaines. »
Au chapitre des aides publiques, le conseil départemental indique avoir versé aux ACD « 62 500 euros, en tenant compte des emplois réellement créés ». De son côté, la communauté de communes des Portes du Luxembourg veut tordre le cou à une accusation récurrente, selon laquelle elle aurait injecté « 1,6 million d’euros »pour aider le centre d’appels. Ce montant avait été évoqué dans la presse par Jean-Luc Warsmann, en 2013, et a été repris par… le Parti communiste, trois ans plus tard.
Or la collectivité a soutenu l’entreprise de manière beaucoup plus modeste, insiste Daniel Gillet, président de la communauté de communes. « L’étude réalisée a coûté 106 470 euros, mais ce n’est en aucun cas une perte, puisqu’elle prévoit la construction de bâtiments en plusieurs tranches, que nous réaliserons prochainement », explique-t-il. Deux projets, tertiaire et industriel, pourraient en effet voir le jour sur cette zone d’ici fin 2016.
Concernant les ACD, « une convention a été signée, dans laquelle ils refusent tout régime d’aides, en compensation des bâtiments ». En résumé, si la com’ com’ n’a pas construit le bâtiment imaginé à l’époque, en raison du développement chaotique du centre d’appels, elle lui a cependant loué un bâtiment provisoire, avec des facilités de paiement.« Le tarif de location proposé aux ACD a été inférieur à notre coût de revient, afin de faciliter leur implantation. Ensuite, l’entreprise a réglé au coût réel les loyers : le montant global facturé sur toute la période s’élève à 101 508 euros. » Au final, selon Daniel Gillet, le centre d’appels « a coûté 125 637 euros à la collectivité ».