CHARLEVILLE / Incidents du 28 octobre 2010 Pourquoi les manifestants ont été « blanchis »
17 MARS 2012
On sait désormais sur quelles bases les magistrats de la cour d'appel de Reims ont décidé d'infirmer le jugement du tribunal correctionnel de Charleville dans l'affaire dite des manifestants du 28 octobre 2010, poursuivis pour dégradations et/ou violences envers les forces de l'ordre (nos éditions d'hier).
Des incidents s'étaient produits lors d'un défilé contre la réforme des retraites, avenue De Gaulle, à Charleville, au niveau de la permanence de l'UMP. Des dégâts avaient également été occasionnés à d'autres locataires de l'immeuble et à des parties communes.
C'est via une caméra installée dans l'immeuble d'en face que la police avait identifié huit présumés auteurs de délits, poursuivis et finalement condamnés en première instance en février 2011.
Selon les attendus du jugement en seconde instance, les magistrats rémois ont d'une part annulé cinq procès-verbaux d'audition, au motif que la jurisprudence n'avait pas été observée et que « le droit de se taire » n'avait pas été notifié aux mis en cause.
Mais surtout, si la cour d'appel a rejeté les demandes de nullité concernant la légalité de caméra installée par la police le jour de la manifestation (estimant qu'elle n'était pas saisie de certains points et ou « juge » de la violation de certaines règles), elle a en revanche récusé la fiabilité de l'identification des auteurs à partir des images tirées de la vidéo en question.
« La cour observe qu'une fois les PV d'audition des mis en cause écartés, la procédure ne repose que sur les images tirées de la caméra cachée et les déclarations des victimes. Elle rappelle à cet égard que si le principe de la liberté de la preuve rend la preuve vidéo recevable, il appartient au juge d'en apprécier la fiabilité, laquelle dépend, en l'espèce de la qualité de l'image. En l'occurrence, les images versées au dossier montrent l'immeuble et son entrée à une distance d'environ 20 mètres et une hauteur d'environ 10 mètres, et les manifestants de dos. »
Bref, si les magistrats ne veulent pas forcément des images dignes de Robert Doisneau, ils trouvent que ce jour-là, le minimum aurait été de filmer de face et que techniquement, la caméra était un peu loin…
Pas de traçabilité
Par ailleurs, la cour constate que si les images ont effectivement permis aux enquêteurs de mettre en cause les prévenus, « elles n'ont pas permis l'identification de deux autres auteurs et ont abouti à la mise en cause par erreur d'une autre personne… »
Elle relève enfin « qu'aucun procès-verbal ne permet de retracer la façon dont les enquêteurs ont à partir des photos extraites de la vidéo, attribué (les faits reprochés) à des individus identifiés. Or, l'admissibilité de la preuve est conditionnée par la manière dont elle a été obtenue, et au caractère fiable de la preuve en résultant. »
Et de conclure en regrettant donc qu'aucun PV ne retrace le cheminement entre l'image et l'identification des auteurs présumés, sachant que « les victimes n'ont pas été identifiées par leur agresseur ». Ainsi, « en l'absence de traçabilité de la preuve, la cour considère que celleci n'est pas rapportée de la participation des prévenus aux faits qui leur sont reprochés… »
Voilà pourquoi les sept prévenus ont été renvoyés des fins de poursuite. « C'est donc bien sûr le fond, sur la non-crédibilité de l'enquête de police elle-même, que le jugement de Charleville a été infirmé et que la cour a conclu à la non-culpabilité » notait hier l'un des avocats de la défense, Me Médeau.